Bienvenue dans cette nouvelle épître, le cinquième de cette série de six.
Nous allons ici toucher à l’un des éléments majeurs du steampunk, à savoir les véhicules, ou tout ce qui permet à l’humain de se déplacer dans cet univers haut en couleur.
La première question qui, j’en suis sûr, vous brûle les lèvres est: «bon sang mais comment ça marche ces bidules ?»
Tout est dans le nom ou presque : essentiellement à la vapeur !
Oui, car même si c’est trivial, il est important de rappeler que l’énergie mécanique, d’une manière générale, est issue de la vapeur.
Je vous renvoie d’ailleurs à mes précédentes épîtres sur cet univers. Néanmoins, il reste bon de souligner que, si l’on schématise (très) grossièrement, le monde steampunk serait la possible société du futur issue de la période victorienne et post victorienne si le pétrole n’était arrivé (c’est clair ? Tout le monde suit ? Même au fond de la classe ? … Bien !).
Or donc la vapeur …
Celle-ci est bien évidemment le plus souvent fournie à partir du charbon. Ce dernier conduit inévitablement à des machines de tailles importantes et des cheminées qui crachent sans relâche vapeur et fumées noires lourdes de suies.
Encore une fois la limite est l’imagination et la démesure : plus la puissance nécessaire à son déplacement est importante plus l’engin sera énorme : train colossaux, ballons à côté desquels le Hindenburg ferait figure de nain, véhicules à roues crachotants et cahotants. Pensez par exemple aux villes mobiles de “Mortal engines” (2018) pour illustrer ces propos.
Néanmoins, la vapeur n’est la seule source d’énergie que l’on croisera dans cet univers ô combien passionnant.
En effet, on trouve aussi couramment l’électricité ou l’énergie voltaïque.
Rappelons que les travaux d’Alessandro Volta (1745-1827) précèdent la période victorienne et que la pile Volta (inventée non pas par Volta mais par deux anglais : William Nicholson et Sir Anthony Carlisle) date du 2 mai 1800. Ce qui laisse imaginer que, dans le steampunk qui débute historiquement en 1837, avec trente-sept années de peaufinage, la technologie peut-être assez bien maîtrisée.
La présence de batteries et de réseaux voltaïques est donc tout à fait plausible … Jusqu’à une certaine échelle bien sûr !
Encore une fois : pas de limites à l’imagination bien que l’on trouve la plupart du temps, aussi bien en littérature qu’à l’écran, des engins de tailles relativement réduites n'excédant que rarement la taille d’une voiture (voir le très beau modèle de la série “The Nevers”). Il y a, comme dans toute règle, des exceptions. Souvenez-vous, par exemple, des démesurées machines électriques de Frankenstein (film de 1931).
Il existe aussi, notamment dans le dieselpunk, des moteurs à combustion interne. Ils sont toujours volumineux, génèrent aussi beaucoup de fumée et tendent à fonctionner, au moins au cinéma, avec un “tchouk tchouk” caractéristique. Ceux-ci se trouvent sur à peu près tous les véhicules, de préférence roulants sur des pneus, ou volants. C'est un peu moins le cas sur les trains qui conservent un net favoritisme pour la vapeur.
Et … Les sources mystérieuses … Oui il y en a ! La source d’énergie qui permet de mouvoir le Nautilus reste un mystère. Verne, ayant sans doute eu conscience à l’époque de l’impossibilité d’un tel voyage sous-marin (pratiquement deux fois le tour de la Terre), avait imaginé une source électrique différente : la batterie au sodium. Même si c’est une impossibilité technique, cette invention a permis à l’auteur de contourner la difficulté et d’alimenter son prodigieux sous-marin.
Il en existe bien sûr d’autres, dont une inventée par votre serviteur … Mais je ne gâcherais rien en la révélant ici. Non, même si vous me suppliez à genoux (mais vous pouvez continuer, cela flatte mon ego).
« Oui mais là on ne parle que des énergies … Et les véhicules eux-mêmes ?» me demanderez-vous, à raison.
Commençons par le terrestre :
Les voitures sont généralement assez peu répandues et se faufilent souvent entre des engins à traction animale. Elles sont, la plupart du temps, l'apanage des riches et puissants ou des inventeurs de tous poils.
Les camions se voient parfois, mais sont généralement mus par des poussives chaudières qui, bien qu’elles permettent le transport de charges lourdes, ne permettent pas d’avancer très vite.
Sur rail, on touche au panthéon du steampunk avec les reines de la vapeur : les locomotives. Elles sont toutes belles, d’un noir profond ou, au contraire, rutilantes et brillantes toutes de cuivres et de laitons parées. Elles sont, quoi qu’il en soit, impressionnantes et puissantes. Capables d’avaler les kilomètres comme de rien et de transporter des charges colossales. Dirigées, bien sûr, par des cheminots au visage noirs de suie. Elles disposent d’un nombre de roues conséquent, au diamètre tout aussi conséquent et d’une multitude de bielles d’une complexité à faire pâlir d’envie un horloger suisse.
Dans le plus modeste, on fera dans le vélocipède de tailles et formes variées, apanage d’une classe moyenne à moyenne supérieure. Ou encore les motocyclettes. Bien que plus rares, ces dernières peuvent présenter de belles machines et une imagination débordante. On notera que les motos monoroue que l’on croise dans le steampunk ont effectivement existé et de nombreux prototypes ont réellement vu le jour. Mais c’était généralement après 1900 (ceux qui ont suivi mes miscellanées verront que l’on reste, malgré tout, dans la fourchette large des 1837-1914).
Côté maritime et fluvial, on croise aussi de beaux spécimens.
Tout en finesse et légèreté pour les bateaux de plaisance, qui pour autant ne se départissent pas de chaudières plus compactes, et en font des objets de luxe.
Les bateaux de croisière sont quant à eux de véritables léviathans. Les chaudières sont multiples et hautes comme de petits immeubles, alimentées à la pelle par des hommes en marcels crasseux. Elles entraînent des hélices ou des roues à aubes tout aussi impressionnantes. La vitesse n’est pas forcément l’objectif tant que le navire s’avère impressionnant.
Pour le fret, l’univers a conservé les grands classiques : les voiliers et les steamers. Bateaux à propulsion souvent mixte, voile et vapeur, qui s’intègrent parfaitement au contexte technologique. Leurs tailles sont plus en accord avec la réalité victorienne.
Sous l’eau, un seul exemple : le Nautilus bien sûr.
Dans les airs, les seigneurs sont les ballons. Terme générique qui va recouvrir aussi bien les ballons de type Montgolfier que les Zeppelins.
Ici plus qu’ailleurs, l’improbable et la démesure se côtoient joyeusement. Des coques de bateaux suspendues à des grappes de ballons à de racés Zeppelins propulsés par de multiples moteurs en passant par des vélos ballon cuisso-propulsés, tout est possible.
Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’aventure on sera plutôt sur des ballons plus ou moins rustiques et de tailles moyennes. On pensera notamment à “Cinq semaines en ballon” (1962) et au superbe ballon de “L’île sur le toit du monde” (1974) où, malgré la forme torpédoïde du ballon lui-même, la nacelle (fermée) est préservée à l’ancienne.
Dans le transport de personnes, le ballon se doit d’être un titan. L'hindenburg représente une petite moyenne. Généralement, le luxe est présent à bord. Il va de soi que les vitesses sont très modérées, les traversées longues (transatlantiques) peuvent donc prendre plusieurs jours.
Les militaires ne sont pas en reste et les dirigeables bardés de mitrailleuses et largueurs de bombes sont terrifiants. Prenez par exemple les ballons de guerre de “Carnival Row” (2019) où les soldats sont harnachés et masqués pour résister au froid et au manque d’air sur des ponts hérissés de mitrailleuses.
Les avions sont, quant à eux, plus rares. En effet, la propulsion pose problème. On les retrouvera donc davantage dans du dieselpunk comme dans “Capitaine Sky et le monde de demain” (2004) où l’on pourra également admirer de superbes engins mi-avions mi-hélicoptère de tailles conséquentes.
“Et l’espace ?”
En effet, j’allais oublier ce point important. L’espace n’est pas connu et laisse totalement libre d’imaginer que l’on peut s’y promener comme tout à chacun ou, au contraire, qu’il représente le danger mortel qu’il est réellement. Je ne retiendrais que “De la terre à la lune” et “Autour de la Lune” de Jules Vernes ainsi que l'inénarrable voyage vers l’astre sélénite dans “De cape et de Crocs” BD d’Eyrolle et Masbou (1995-2012).
“C’est bien joli tout ça, mais on en fait quoi ?”
Bien que l’on se retrouve fréquemment imprégnés de l’ambiance à la fois flamboyante et crasseuse du Londres victorien, il est important de se rappeler un point important : la mode de l’époque est aux grandes découvertes (mystères de l’Afrique et de l’Inde), aux voyages merveilleux et au fantastique (Bram Stoker, Mary Shelley, Conan Doyle, Edgar Allan Poe, …). Il est donc aisé de faire vibrer le lecteur / spectateur en lui proposant des destinations exotiques ou totalement irréelles. Pensez notamment à «L'île sur le toit du monde » (ibid), « Voyage au centre de la terre » de Jules Verne (1864) ou encore «l'île mystérieuse” (1875) et “Les enfants du capitaine Grant” (1867) du même auteur.
N’oublions pas que la série de livres de cet auteur s’appelait “Les voyages extraordinaires» … Ce n’est pas pour rien !
Il est donc courant de trouver dans ce style, soit une immersion localisée et fixe (Londres en général), soit des traversées du monde en tous sens, et de préférence vers des destinations incroyables auxquelles les héros du genre ne seront, bien évidemment, pas préparés.
On donnera quand même une note d’excellence à “Le tour du monde en 80 jours” toujours de JV (c’est son petit nom dans l’intimité) de 1872 qui regroupe, à lui seul, un nombre conséquent de moyens de transport. Soyons fous et citons l’auteur : “tous les moyens de transport,paquebots, railways, voitures, yachts, bâtiments de commerce, traîneaux, éléphant.”
Voilà, c’en est terminé de ce quintième épître. Espérons qu’il vous aura permis de vous évader un tantinet.
Il ne me restera plus qu’une épître et ces miscellanées toucheront à leur fin. L'interrogation écrite aura lieu à l’issue de la dernière publication, révisez bien !
Maîstre Philippe
Lugdunum le MMXXIII le XVI Ianuarii