Journal du mire Vindergen - semaines 9 à 11
– 1153 D.O – 9ème semaine
Je ne me sens pas bien depuis notre dernière rencontre. Ses questions m’ont retourné l’esprit. Une à une, elles semblent anodines, mais reliées, elles prennent un sens glaçant. Tiniel lui aussi est inquiet pour moi et m’exhorte d’arrêter ces visites.
-« Si vous étiez libre, que feriez-vous ?» m’a demandé Hernist.
-« Parce que je ne le suis pas ? »
-« Si vous l’êtes vraiment, sortez donc d’ici »
-« C’est par choix et liberté que je suis là. »
-« Croyez-vous ? Seriez-vous venu sans qu’on vous y envoie ? Vous apprendrais-je donc que quoi que nous fassions, tout est régi pas une influence supérieure.»
Je fus surpris de la manière dont il appuya le mot « supérieure »
Qu’essaie-t-il de me dire ? Suis-je aussi prisonnier que lui à Vinathiane ?
J’ai un étrange pressentiment. Il est indéniablement intelligent. Serait-il possible que depuis le début, tout ceci ne soit qu’un piège pour m’attirer à lui ? M’affaiblir, me faire douter de moi-même et de ce que je suis ? Pour que je m’identifie à lui ? Ou pire encore, pour qu’il prenne l’ascendant sur moi ? Au fil des jours, j’en suis de plus en plus persuadé et le fait que j’en sois conscient marque son échec. Mais je ne dois surtout pas lui montrer, je dois continuer à jouer le jeu, en toute honnêteté. Si jamais il se rend compte que je l’ai démasqué, tout sera perdu. Il faut que je découvre ce qu’il a en tête, ce qu’il attend de moi, car il est évident que ce ne sont pas les clefs de sa cellule.
À l’Office, cela va de mal en pis. Je sens une certaine tension chez le personnel qui redoute la prochaine vague. Parfois, certains deviennent verbalement agressifs, mais le milieu n’est de toute façon pas propice au calme.
Pour une obscure raison, Tiniel s’en est pris à une amissière l’autre jour, devant les cellules. Elle est partie en sanglots tandis que les pensionnaires pouffaient de rire comme des charognards, grimpants aux barreaux célébrant cette victoire. J’ai fait part de mon mécontentement à Tiniel. Quoi qu’il eût à lui dire, il n’avait pas à le faire devant tout le monde. C’était déplacé et cela mettait en doute toute la crédibilité de l’amissière, qui risquait désormais davantage avec les pensionnaires. Il m’a répondu sèchement « Jeune Mire Vindergen, restez à votre place. Apprenez donc votre métier avec les malades avant de venir m’apprendre le mien »
– 1153 D.O – 10ème semaine
Comme redouté, un troisième épisode de crise s’est déroulé. Trois morts, et toujours autant de cris abominables. En effet, il semble y avoir un lien avec la pleine lune, mais on ne sait pas encore l’expliquer. Est-ce une volonté propre et collective de faire cela à la pleine lune ? De nouveau, Hernist s’est renfermé sur lui-même.
La tension est montée d’un cran parmi nous. Depuis quelques jours, j’évite autant que possible Tiniel, qui semble de plus en plus acariâtre et acerbe.
Il mène la vie dure aux amissières, elles n’en peuvent plus. Les autres mires restent à l’écart. Comment des mires expérimentés, habitués à vivre et travailler dans un tel endroit, peuvent-ils succomber aussi aisément à la colère et à la méfiance ?
C’est un mystère. Tout ceci n’est pas bon. Je dois redoubler de prudence.
Nous n’avons pour le moment reçu aucune nouvelle de l’extérieur, mais cela ne fait que quatre semaines, patience.
– 1153 D.O – 11ème semaine
La troisième vague de folie a profondément touché Hernist, mais il y a autre chose. Il est clair qu’il ne veut pas sortir, bien au contraire. Ces murs représentent la protection parfaite pour lui. Mais, malgré l’assurance de ses paroles, je sens en lui une certaine peur, comme si cet endroit regorgeait de failles et s’avérait être l’antre de dangers bien plus grands que la soumission de la pensée. Ces derniers temps, plus d’une fois, il s’est interrompu pour jeter un bref coup d’œil çà et là, comme s’il avait vu ou entendu quelque chose. C’était bien différent de ses attitudes passées où il conversait avec tout et n’importe quoi. Là, je sentais une réelle crainte. Comme la dernière fois, alors que nous parlions de botanique, sujet sur lequel il semblait aussi exceller ; d’un coup, il s’est arrêté de parler et a presque sursauté en entendant un simple courant d’air qui soufflait un peu sèchement. Il m’a alors chuchoté sur un ton très inquiet « Soyez libre, partez d’ici et vite. En ces lieux ils se nourrissent davantage de nous. », puis il a repris la conversation comme si de rien n’était.
Les vagues de folies ne semblent pas l’atteindre, alors que craint-il ? Les ombres imaginaires des couloirs ? Qu’est-ce qui peut le terroriser de la sorte ? Qui sont ces « ils » et en quoi se nourriraient-ils de nous ?